Yolanda Yeabow se réveilla. En sursaut. Il y avait eu un rêve, il y avait du brouillard, et maintenant c’était le vide. Ni brume, ni espoirs. Le vide.
Comme une plaie béante. Le vide.

Puis un silence.
Et maintenant, c’était une chambre, et un haut plafond noir.
Rien ici ne lui était familier.
Sauf le silence.

Yolanda Yeabow n’avait pas vraiment peur. Oh, elle avait connu cela, la peur, mais la peur, c’était le bruit, et les cris, et les yeux bleus d’Ariane. Ce n’était pas cela. La peur, au moins, c’était vivant. Ca avait une grande forme noire qui oppressait le cœur et qui pressait sur l’âme. Avec de grands bras puissants, et un regard sombre à glacer le sang.
Mais ce n’était ni le silence, ni le vide.

Encore un silence.
Alors elle se leva, et frémit un peu.
La fenêtre était ouverte, dans cette chambre.
Et elle ne se souvenait de rien.

Yolanda Yeabow se rendit compte qu’elle portait une robe noire qui lui était familière, et que cet endroit aux longs couloirs, c’était un Manoir. Les murs étaient tapissés de photographies. Des photographies partout. Des photographies qui bougeaient.

Elle, âgée. Et maussade.
Qui posait. Avec un gamin qui lui ressemblait beaucoup, un grand roux et une jeune femme grave.
Elle, jeune. Et radieuse.
Qui posait. En robe de mariée, près d’un homme extrêmement séduisant qu’elle ne reconnaissait pas.
Elle, vieille. Et aigrie.
Qui posait. Seule. Avec des bouteilles de grands crus vides.

Et elle encore…
Elle encore…

Puis une autre jeune fille blonde qu’elle ne connaissait pas. Très maigre, avec le même jeune homme roux.
Puis un homme entouré de livres, et une autre jeune femme brune qui a l’air malheureuse.

Et eux encore…
Et d’autres encore…

Ca l’intriguait, tous ces visages d’inconnus qui bougeaient et faisaient de grands signes. Elle se retrouvait plusieurs fois, à plusieurs époques, à plusieurs âges ; alors elle fronça les sourcils, et continua à avancer.

En même temps qu’elle voyait les images, jaillissaient les souvenirs.  Des souvenirs d’elle, à plusieurs époques, à plusieurs âges. Des hommes différents, des élèves différents ; des amis et des ennemis qui changeaient à chaque fois ; des Ariane mortes, des Ariane adultes, des Ariane enfants.
Plus elle cherchait à plonger dans les abysses de sa mémoire, et plus c’était confus.

Dans cette grande pâte de ses souvenirs, dans cette chose informe qu’était devenue tout à coup sa mémoire, restait-il des certitudes ? Elle ne savait pas. Il y avait Ariane. Blonde. Belle. Sa fille. Adulte, ou enfant ? Vivante, ou morte ? Présente, ou disparue ? On ne saurait le dire. Elle connaissait le roux, et ne l’aimait pas.
Seulement, elle avait trente-six ans, et elle était malheureuse.
Et mauvaise. Et aigrie.
C’était tout.

Oui, il y avait cette certitude-là.
Le malheur d’avoir vécu.
Et la conviction d’avoir traversé beaucoup de choses.
L’assurance d’avoir vécu.

Vécu, oui. Elle avait senti le vent dans ses cheveux et connu la douleur traversant son cœur.
Elle avait connu des époques différentes, des âges différents, et vécu des jeux différents. Pourtant aujourd’hui, elle revenait au point de départ – elle le sentait, c’était un point de départ.
C’était étrange.
Soudain, elle se sentait comme une marionnette.

Ces estampes colorées dans sa mémoire, était-ce dont le voile du passé qui les obscurcissait, où des prophéties sombres que le manteau de l’avenir cherchait à préserver ?
On ne saurait le dire.

Elle marcha. Encore.
Elle se sentait plus que jamais comme un pantin : guidée par quelque chose qui n’était pas elle-même. Pas son assurance. Pas ses évidences.
Le bruit de ses pas était silencieux, mais pourtant elle entendit quelque chose craqua sur le parquet. Il y eu une silhouette en face d’elle.

Alors, tout revint à Yolanda en un éclair.
Elle était Yolanda Yeabow.
Il était Fred Weasley.
C’était cela.

Elle plissa les yeux ; et son regard était encore trop intrigué pour qu’une lueur de triomphe puisse y luire.
Elle avait mis le nom sur le visage.
C’était tout.

« Nous nous connaissons, n’est-ce pas ? »